Cet atelier visait à faire émerger une communauté de chercheurs travaillant sur les dynamiques agricoles et alimentaires contemporaines. Comme le soulignait l'appel à contribution, la nourriture et la production agricole qui la sous-tend, sont devenues à l'aube du XXIe siècle, à la fois un objet et un vecteur de la globalisation. Nourriture, et en amont, terre et semences, sont des marchandises échangées à l'échelle mondiale, dont la production et la régulation sont affectées par des politiques agraires aussi bien nationales que mondiales. Elles sont dans le même temps un vecteur de sens pour des groupes et des sociétés en recomposition, et constituent des enjeux de mobilisation identitaire. Nous entendions par globalisation l'augmentation et le changement d'échelle des flux d'information, de marchandises, d'hommes... – phénomène qui a des répercussions à la fois dans les sphères économique, politique et culturelle.
L'appel invitait à se pencher autant sur les processus de standardisation et d'homogénéisation des pratiques de production et de consommation que sur la différenciation des choix agricoles et alimentaires, et sur les initiatives de valorisation et de réinvention du local (considérées comme un symptôme paradoxal de la globalisation) ; à s'intéresser autant aux dispositifs de commodification de l'agriculture et de l'alimentation (brevets sur les semences, accaparement des terres...), qu'aux mobilisations sociales et politiques, et aux filières de production et de commercialisation alternatives qu'ils font émerger. Le tout sans délaisser une perspective classique en anthropologie, à savoir l'étude des visions du monde et du futur qui sous-tendent les pratiques quotidiennes de production et de consommation de nourriture.
Seize communications ont été retenues parmi les réponses à l'appel à contribution. Quatre d'entre elles (dont les résumés figurent dans le programme) ont été annulées du fait d'empêchements de dernière minute de leurs auteurs (Ricardo de la Pava, Julien Blanc, Laure Emperaire et Isabel Georges, Michel Streith).
L'atelier a été organisé en 4 sessions d'une heure et demie, avec un regroupement thématique qui a fait apparaître les thèmes suivants :
- Mouvements paysans / construction d'alternatives à l'agriculture industrielle.
- Labels, certification, tensions entre savoirs profanes et savoirs scientifiques.
- Transformations des pratiques agricoles et alimentaires locales dans un contexte de mondialisation.
- Différents modèles agricoles en tension.
Les communications de Valeria Sinischalchi, Elise Demeulenaere et Delphine Thivet avaient en commun de s'intéresser à des mouvements sociaux agricoles porteurs d'alternatives aux modèles agricoles dominants : le mouvement Slow Food créé dans les années 1980 en Italie, et devenu en moins de vingt ans un mouvement international qui regroupe près de 100 000 membres ; le Réseau Semences Paysannes, issu en France de la contestation paysanne sur les semences ; les mouvements « paysans » réunis sous l'égide de la Via Campesina Brasil au Brésil. Les communications se sont intéressées au projet politique porté par ces mouvements, aux actions menées et à leur évolution dans le temps, et aux dimensions identitaires de ces mouvements, dans des contextes socio-politiques et économiques contrastés. Alors que la figure du « paysan » se construit en opposition à celle de l'exploitant agricole en France, le camponês brésilien développe un espace autonome par rapport au modèle de l'agrobusiness mais aussi par rapport à celui de l'agriculture familiale.
Deux communications se répondaient particulièrement bien sur le thème des labels et certifications. Laurence Bérard, qui travaille depuis de nombreuses années sur les productions alimentaires localisées, rappelle l'effet standardisant de la certification des indications géographiques, et souligne que son renforcement pour répondre aux exigences d'un marché qui se globalise rend de plus en plus difficile la prise en compte de la dimension culturelle de ces productions. Marie-France Garcia-Parpet s'intéresse aux transformations en cours dans le secteur de la certification en agriculture biologique, et souligne les tensions entre les petits organismes certificateurs militants de la première heure, et les multinationales de la certification dont l'activité se concentrait traditionnellement dans d'autres secteurs (la construction, l'industrie, la gestion des risques, les services et le management) et qui ont récemment investi ce marché. Christèle Dondeyne prolonge cette réflexion sur le développement de l'agrobiologie, en s'interrogeant sur la nature des savoirs et valeurs mobilisés dans la production des normes de production en agriculture biologique en Bretagne. Cette communication faisait la transition pour aborder la transformation des pratiques agricoles et alimentaires locales dans la globalisation. Ingrid Hall a abordé la question à partir de l'exemple de la conservation des semences de pomme de terre au Pérou, à la croisée entre des communautés paysannes andines, une ONG de développement, et des généticiens. Cindy Adolphe a exposé les conséquences au niveau local du développement de l'exportation d'une denrée phare de l'économie éthiopienne : le « café de Yirgacheffe ». Carine Chavarochette a exposé les pratiques agraires et rituelles des femmes d'une communauté évangélique maya alimentant le marché bio de San Cristobal de las Casas, Chiapas, Mexique. Jean-Pierre Hassoun s'est plus particulièrement concentré sur les transformations de la feuille de brick, depuis son entrée en provenance de Tunisie sur le marché français dans les années 1960 à sa commercialisation actuelle par la grande distribution.
Les deux dernières communications avaient pour ambition de conclure cet atelier, en abordant à une échelle plus macro les modèles agricoles en tension. L'historien des sciences Frédéric Thomas examine l'effet de l'entrée dans l'OMC du Vietnam sur l'économie domestique des semences, comme une illustration de l'imposition des standards internationaux sur les petites paysanneries. La conclusion de Birgit Müller s'attachait à caractériser les différentiels de temporalités entre une agriculture adaptée aux rythmes du sol et de la plante, et une agriculture inscrite dans le temps du marché.