L'étude proposée porte sur l'identification et la caractérisation des connaissances que les entraîneurs experts en gymnastique mobilisent pour agir efficacement en situation d'entraînement. Ces connaissances demandent à être dévoilées et formalisées car elles ne s'exhibent pas en tant que connaissances, elles sont implicites et se manifestent dans l'efficacité de l'action. La littérature scientifique disponible sur la question a montré que les connaissances pratiques des entraîneurs experts sont composées de routines organisationnelles et sont fortement ancrées sur leurs expériences passées de pratiquant et d'entraîneur (Saury & Durand, 1998). Les résultats de recherche ont mis en évidence des processus de reconnaissance par analogie et d'attribution de sens aux situations complexes. Néanmoins les travaux ont principalement porté sur les connaissances générales des entraîneurs, ou plus spécifiquement sur les situations sportives particulières porteuses d'incertitude événementielle (du type sport de voile où le milieu de déplacement est fluide). L'investigation des connaissances de l'entraîneur confronté à des activités sportives comme la gymnastique où le milieu est considéré a priori comme stable reste en grande partie à faire. Pour ce sport, la difficulté des situations vécues par l'entraîneur est davantage due à la complexité des habiletés gymniques qu'il doit faire acquérir et maîtriser aux athlètes ; celles-ci étant très rapides, enchaînées, et déployées dans tous les plans de l'espace.
L'étude avait pour ancrage disciplinaire l'anthropologie cognitive et pour cadre théorique celui de l'action située. Le terrain de l'étude était celui de l'entraînement sportif de haut niveau : un club sportif de niveau national, ainsi que deux centres nationaux de la Fédération Française de Gymnastique (FFG). Deux entraîneurs féminins et dix entraîneurs masculins ont été suivis pendant deux ans au cours de leur activité professionnelle auprès de gymnastes de haut niveau âgés de 7 à 23 ans. Deux types de matériaux complémentaires ont été élaborés : i) Des données d'observation du flux de comportements des entraîneurs ; ii) Des verbalisations réflexives produites par l'entraîneur au cours d'entretiens en cours, ou post-entraînement. Les matériaux recueillis ont fait l'objet d'une analyse qualitative inductive selon la méthode de comparaison continue (Strauss, 1992).
L'explicitation des connaissances que mobilisaient les entraîneurs participants pour intervenir auprès des gymnastes et guider la transformation de leurs habiletés a fait émerger l'importance de ce qu'ils nommaient les « phases de placement ». Il s'agissait de séquences réduites des habiletés gymniques, matérialisées par des formes de corps particulières à certains moments de leur réalisation. L'identification de ces phases par les entraîneurs apparaît comme une composante des processus par lesquels ils se rendent intelligible l'activité des gymnastes réalisant les habiletés gymniques. L'étude a permis de mettre en évidence trois résultats saillants concernant cette intelligibilité : a) elle s'inscrit dans différents degrés de réification/personnalisation de l'analyse de l'activité du gymnaste (le niveau du mouvement du gymnaste, le niveau de son intentionnalité, et le niveau de sa personnalité) ; b) il s'agit d'une intelligibilité « bricolée », provisoire, reposant en partie sur des hypothèses interprétatives testées en situation ; c) elle repose sur un ordre causal simplificateur de la complexité.