1er Congrès de l'Afea / 21-24 septembre 2011
Paris (France)
La pensée d'un vécu ou le vécu d'une pensée : conditions d'une « co-naissance »
Sylvaine Derycke  1, *@  
1 : EHESS CESPRA  -  Site web
CNRS : UMR8036
105 boulevard Raspail 75006 Paris  -  France
* : Auteur correspondant

C'est dans le cadre d'un doctorat portant sur les croyances et pratiques rituelles de sportifs de haut niveau en athlétisme que la question de la réflexivité est apparue constitutive de mes investigations en tant que condition de toute connaissance.

Athlète et étudiante en Anthropologie, je menais ces deux activités parallèlement. C'est lors d'un championnat durant lequel je fus témoin d'une pratique rituelle que mon regard s'est peu à peu dédoublé, mon corps devenant médium de connaissance. J'ai ensuite intégré une structure sportive l'I.N.S.E.P. dans laquelle je m'entraîne, travaille en tant que surveillante d'internat, et vis. Chercheuse et athlète à la fois, chercheuse et athlète tour à tour, j'étais Peau d'âne des temps modernes se transformant pour se camoufler de son autre vie.

Au fur et à mesure de l'évolution de ces postures vécues viscéralement, je me suis aperçue à quel point j'étais le fruit fait de chair d'une certaine conception méthodologique bourdieusienne reposant sur le clivage entre un sujet empirique, dans un rapport immédiat au monde capable de connaissance par corps, et un sujet scientifique, objectivant et objectivé, rationnel. Une des postures instrumentalisait l'autre, travaillait à passer au tamis ses diverses expériences trop « immédiates » et « personnelles ». Elle en retirait la lie émotionnelle et irrationnelle susceptible de brouiller les pistes afin de récolter le substrat restant, forme pure structurée et lavée de toutes ses impuretés. Cette posture niait l'évidence d'une implication physique et émotionnelle incontournable.

Je me suis alors laissée aller volontairement en adoptant une posture plus juste : ne plus cloisonner ma vie, se laisser flotter dans une immersion réflexive. Il s'agit de comprendre et de faire émerger par résonnance avec ce milieu. Cet acte suppose une sensibilité à l'autre consistant à se laisser agir par l'autre. Cela nécessite un dessaisissement de soi s'apparentant à une forme d'appréhension vagabonde. Les affects orientent inévitablement le terrain, et c'est là une condition de toute connaissance. Il faut entendre cette compréhension comme une disposition : ni subjective, ni objective, ni intérieure, ni extérieure mais dans l'ouverture, le lien, l'échange, comme une passerelle entre moi et les autres, constituée de moi et des autres. La compréhension de l'autre passe par la compréhension de mon expérience sportive, du fait de cet espace d'homogénéité. La singularité apparaît alors comme la condition d'un travail de qualité. Ce processus d'une réflexivité en creux dans toute expérience de terrain et dans sa restitution s'achève dans et par l'écriture. Il s'agit de comprendre et de se faire comprendre : se faire passeur.

L'immersion réflexive apparaît ici comme la condition d'une connaissance entendue comme « co-naissance » : la naissance et l'évolution d'un sujet-chercheur, d'un sujet-athlète et d'un thème de recherche se construisant ensemble.


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