1er Congrès de l'Afea / 21-24 septembre 2011
Paris (France)
La question de l'éthique dans la pratique de la recherche anthropologique
Elodie Fache  1, *@  , Frédérique Guyader  2, *@  
1 : Centre de Recherche et de Documentation sur l’Océanie   (CREDO)
CNRS : UMR6574
2 : Institut de Recherche sur le Sud-Est Asiatique  (IRSEA)
CNRS : UMR6571
* : Auteur correspondant

Cette table ronde résulte du constat de l'absence d'une réflexion générale et fédératrice parmi les anthropologues en France concernant l'éthique dans la pratique de la recherche. De nombreux pays (Canada, Nouvelle-Zélande, Australie, Etats-Unis) ont formulé des recommandations éthiques spécifiques à la profession. Les codes et comités d'éthique et les formations à l'éthique dans ces pays participent à asseoir l'éthique de la recherche et à structurer le métier d'anthropologue. Cette table ronde avait pour ambition de relancer le débat sur les conséquences positives ou négatives de l'absence de formalisation de l'éthique de la recherche en France. Les cinq interventions présentées proposaient cinq regards s'appuyant sur des terrains, aires culturelles et problématiques divers induisant des enjeux éthiques complémentaires.

Dorothée Dussy, chargée de recherches au CNRS et membre de l'IRIS, qui travaille sur l'inceste, sujet fortement relié à des questions de morale ou d'éthique sur toutes les scènes où il est discuté, a relaté une expérience de terrain s'appuyant sur plusieurs échanges avec un détenu. Elle a discuté la notion de trahison des informateurs et mis en avant l'importance du formulaire de consentement éclairé. Elle a envisagé les aspects positifs d'une hyper-codification des pratiques de recherche en anthropologie, visant à ce que « le façonnage de la conscience professionnelle, discuté et réfléchi collectivement, se substitue le plus possible à la morale personnelle ».

Élodie Fache, doctorante en anthropologie au CREDO, mène une recherche sur la gestion aborigène contemporaine de l'environnement dans le nord de l'Australie. Afin de pouvoir mener son enquête de terrain dans une communauté aborigène, elle a dû faire une demande de permis de recherche, démarche contraignante mais qui a aussi été une source de réflexivité en amont de la recherche. Par ailleurs, Élodie Fache a partagé son expérience relative aux formulaires de consentement informé, dans un contexte d'enquête qui ne permettait pas de séparer vie quotidienne et moments de recherche. Son intervention a illustré les limites de la bureaucratisation excessive du consentement informé.

Laurent Dousset, maître de conférence à l'EHESS et directeur du CREDO, a fait part d'une réflexion concernant ses deux terrains d'enquête, l'Australie et le Vanuatu, et plus particulièrement ce qu'implique pour le chercheur d'être situé de force ou de gré dans une dialectique entre le local et le national. Il a mis en évidence que la prise de position nécessaire et exigée du chercheur est partisane et généralement dictée par le sentiment de dette envers les hôtes. Sans s'attacher à une définition de l'éthique, il insiste sur l'importance de former les étudiants à imaginer les enjeux et questionnements éthiques qu'ils rencontreront sur le terrain, pour qu'à terme la discipline se défasse « du seul joug impossible à satisfaire de l'objectivité scientifique parfaite pour comprendre que l'anthropologie est forcément une science impliquée ».

Fabienne Héjoaka, doctorante en anthropologie à l'EHESS (CEAF) et associée à l'IRD (UMI 233 « TransVIHMI »), travaille sur l'expérience de la maladie vécue par les enfants vivant avec le VIH au Burkina Faso. Dans le cadre de son terrain, concerné par l'application d'une éthique biomédicale, prévaut ce qu'elle appelle une « culture de l'éthique ». En l'absence de formations et de cadres éthiques codifiés dans l'anthropologie française, elle a dû se plier aux normes et pratiques de l'éthique biomédicale. Cette situation préfigure la bureaucratisation de l'éthique à laquelle les anthropologues vont de plus en plus être confrontés et pourront difficilement déroger. Ceci l'amène à conclure que « l'anthropologie doit s'approprier l'éthique et faire valoir sa spécificité ».

Frédérique Guyader, doctorante en anthropologie à l'IRSEA, qui travaille sur l'influence du tourisme de masse sur les processus identitaires d'une minorité chinoise, s'est interrogée sur la confrontation de l'anthropologue à l'absence de règles ou de codes qui guideraient son positionnement face à ses interlocuteurs. L'absence de formalisation éthique sur son terrain lui est apparue comme signifiant implicitement qu'une prise de conscience de l'implication et des conséquences des échanges entre l'anthropologue et ses informateurs nuirait à la liberté du chercheur. Mais pour Frédérique Guyader, au-delà de la considération morale ou éthique, il est indispensable de mener une réflexion autour de ce que signifie « ne pas nuire à autrui ».

La discussion avec l'auditoire suivant ces cinq présentations a été animée et riche. Il est apparu nettement qu'il n'existe pas de consensus parmi les anthropologues en France concernant la question de la formalisation de l'éthique de la profession. Les expériences des chercheurs sont diverses et semblent conditionner les prises de position. Il a été conclu que la discussion commencée dans le cadre de cette table ronde devrait être poursuivie.


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